lundi 24 janvier 2011

Jeax- The Killer Enemy

Interview de Jeax réalisée à Montreuil en avril 2007.

JEAX-TKE (Source : Internet)

Tes débuts ?

J’ai commencé le graffiti  vers 1986. Je taguais dans les rues de Ménilmontant à Paris avec LAZY. Rapidement, on a fondé avec des mecs du 19e et du 20eme arrondissement, les TKE (The killer enemy). Certains gars du groupe comme SFAXE et FAREST étaient de gros cartonneurs ; LAZY et moi, on s’était lancé dans le graff. Au départ, on était attiré par  la peinture abstraite. LAZY était fasciné par JON, moi par MEO. A l’époque, on n’avait pas accès aux fanzines, nos sources d’inspiration étaient principalement ce qu’on voyait dans les terrains et dans la rue. A Stalingrad, on avait flashé sur les peintures de ces deux graffeurs américains.  J’aimais beaucoup le travail de Meo, surtout comment il utilisait le flou et le trait.
"MJ Spray, Le roi de la Bombe. Ici, Toutes les couleurs". Réalisation JEAX. Aulnay-sous-Bois (Copyright : Jeax) 

Vers 1998-1989, on décide d’arrêter l’abstrait et de faire des lettres. Nos graffs sont pas terribles, mais on forme une belle entente. Je me souviens avoir peint un Lazy en rose sur un toit Boulevard Philippe Auguste, avec une 3D multidirectionnelle qui devait être l’une des premières sur Paris.
Très vite, je progresse. J’avais des facilités avec la bombe. J’avais aussi envie d’accélérer, de travailler sur la lettre.  Entre 1990 et 1993, je me suis mis à faire des graffs de 15 mètres de long sur deux mètres de haut dans les terrains vagues de Bastille, Voltaire, Père Lachaise et Stalingrad. J’ai eu pas mal de chance. J’étais pote avec le vendeur de bombes de peinture du magasin MJ Spray en face du métro Père Lachaise. Il me filait des bombes.  J’ai d’ailleurs réalisé pas mal de mes pièces au boulodrome juste à côté du magasin.
"Baisé" by POPAY-JEAX, Boulodrome du Père-Lachaise 1992 (Source : Graffiti Paparazzi)

JEAX, Boulodrome du Père-Lachaise 1992 (Source Graffiti Paparazzi)



Peux-tu nous raconter l’histoire de cette fameuse fresque qui est longtemps restée  à Père-Lachaise ?
Le mur du Jeax avec la tête du gars qui fume un joint, je l’ai commencé avec Popay. On avait travaillé le mur surtout à base de bleu.  Popay est intervenu sur la création de l'ours que j'ai finalisé avec son consentement en l'intégrant dans la fresque. Je me souviens que j’avais pas été super satisfait de l’ensemble. J’ai alors décidé de le repeindre avec des teintes oranges. Popay n'était pas chaud pour voir l'ours derrière les barreaux, mais il a accepté le message de soutien aux Palestiniens. Les motifs que j’ai rajouté ensuite, ça s’est fait au feeling.
En général, mes dessins sur papier sont peu recherchés. J’arrive avec un lettrage gribouillé sur une feuille de papier et l’inspiration vient en peignant. Je  trace l’esquisse sans savoir que je vais mettre à tel endroit de la fresque une main de fatma, une lettre en tamazight, une mosquée, un dauphin, etc. En fait, la plupart du temps, c’est les gens  autour de moi qui me demandent de peindre ce qui leur fait plaisir.
Ce jour-là, un pote m’a demandé si je pouvais peindre un mec qui fume un joint. Je l’ai fait, spontanément.  A la base, je fume pas, mais j’avais trouvé l’idée marante et j’ai eu aussi envie de faire plaisir aux autres. J’aime bien que mes amis  participent au graff. S’il y a des gamins, je vais toujours leur donner la bombe de peinture pour qu’ils fassent quelques traits. C’est en fonction de la situation. A l’arrivée, ça donne un patchwork qui transpire la spontanéité et la créativité. Une sorte de mélange de symboles simples qui se rapproche de la poésie orientale.

"Tetré" by JEAX- Boulodrome du Père-Lachaise, 1992 (Source : Haibun)

"La machine qui tue". Réalisation et Photo par JEAX (Copyright Photo : Jeax)


Comment t’es venue l’idée du patchwork ?
Ce que j’aime dans le graffiti, c’est cette liberté du mouvement, du geste, des couleurs.  Le graffiti permet de casser les normes de la typographie classique, d’arrondir les lettres, de jouer sur les courbes, d’en exagérer la forme, de mélanger les codes. Instinctivement, j’essaie dans mes graffs  de fusionner les courbes de la typographie latines et celles de la calligraphie arabe.  C’est un moyen pour moi d’exprimer librement ma double culture française et algérienne. C’est pas une revendication identitaire. Je déteste par dessus tout ces revendications. Je me sens autant Français, Berbère qu’Africain.
Ce qui me permet d’avancer dans mon art, c’est l’ouverture aux autres cultures. Je suis pour le métissage, la fusion entre les différentes formes d’expression. Cette volonté d’ouverture m’a amené à  multiplier les recherches vers d’autres techniques et d’autres formes d’art. A partir de 1994, je me suis lancé dans la peinture murale qui reste pour moi ce qu’il y a de plus noble. J’ai aussi beaucoup travaillé la peinture abstraite, mais aussi figurative, notamment avec l’acrylique. Aujourd’hui, je continue à faire des graffs, toujours avec ce souci de faire passer des messages.


 "Politik Animal". Réalisation et Photo par JEAX- Rue Ordener , Paris 18e. 2006 (Copyright Photo : Jeax)


Le message de la fin ?

Il ne faut pas perdre de vue que le graffiti est un truc de révoltés. On vient au tag parce qu’on est en rébellion. Parce qu’on a des choses à dire. Le graffiti, c’est un moyen d’expression subversif.  Personnellement, vers 1992, à l’époque où j’étais très actif dans le graffiti, j’étais très marqué par ce qui se passait en Algérie avec la montée des intégristes. J’avais besoin de l’exprimer. C’est très important de garder en tête qu’on peint pour dire des choses. Le graffiti est une écriture urbaine. C’est dommage d’écrire des lettres sans avoir rien à dire.  

"Aujourd'hui, la Police tue" by JEAX- Place Stalingrad-1992 (Source : Internet)
"Misère" by JEAX (Copyright : JEAX)



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